Lenteur et santé mentale : une alliance inattendue, mais salutaire
- Lila
On dit souvent que le temps file. Que l’on court, parfois sans bien savoir après quoi. Montres connectées, notifications insistantes, listes de tâches à rallonge : tout semble nous presser. Pourtant, à contre-courant, une conviction prend racine chez beaucoup d’entre nous : et si tout commençait par la lenteur ? Non pas un ralentissement par contrainte, mais par choix. Car aller moins vite, c'est parfois retrouver un chemin vers soi. Les études le murmurent, les thérapeutes l’encouragent, celles et ceux qui l’ont pratiquée ne jurent plus que par elle : la lenteur, loin d’être une faiblesse ou une paresse, pourrait bien être l’un des alliés les plus précieux de notre santé mentale moderne.
Les origines du culte de la vitesse (et ses effets sur nos esprits)
- Lila
Notre société chérit la rapidité. Un héritage des révolutions industrielles, mais aussi de l’ère numérique : aujourd’hui, il faudrait avoir tout, tout de suite, partout. Selon une étude de RescueTime de 2019, un utilisateur de smartphone regarde, en moyenne, son écran 56 fois par jour. Côté travail, d’après le cabinet ADP, 52% des salariés européens déclarent éprouver du stress lié à la surcharge et à la pression constante d’efficacité.
Or, excès de sollicitations, multitâche à outrance et crainte de ralentir conduisent, selon l’Organisation mondiale de la santé, à une hausse de 13% des troubles anxieux dans le monde ces dix dernières années. Derrière l’accélération, le prix à payer se nomme épuisement, troubles de l’attention, voire dépression.
Lenteur et cerveau : la science au service du bien-être
- Lila
Face aux ravages du “tout, tout de suite”, la recherche scientifique s’intéresse de près à la “slow life”. Plusieurs effets précieux de la lenteur, souvent méconnus, ont été identifiés :
- Baisse du cortisol : Selon le Dr. Michelle Dossett, chercheuse à Harvard, ralentir ses activités – même 10 minutes de respiration calme ou de marche douce – diminue de 20% les niveaux de cortisol, l’hormone du stress.
- Mémoire et créativité boostées : Quand on donne à son cerveau le temps de flâner, de rêver, il intègre mieux les apprentissages. La journal Frontiers in Psychology note que les moments de "nothing time" améliorent la créativité et la capacité de résolution de problèmes complexes (source : "Give Your Ideas Some Legs", Frontiers in Psychology, 2020).
- Lutte contre le burn-out : Une étude menée sur 1700 participants par le Bureau International du Travail (2023) montre que multiplier les pauses véritablement déconnectées au fil de la journée réduit de 42% le risque de burn-out chez les actifs.
Comment concrètement ralentir au quotidien (quand tout pousse à l’inverse) ?
- Lila
Ralentir ne s’improvise pas toujours, surtout quand l’environnement prêche l’agitation. Pourtant, il existe des rituels, parfois minuscules, qui changent tout :
- Apprivoiser la marche lente : Prendre une rue en dehors de son chemin habituel, capter les sons, respirer. Une étude de l’Université du Michigan (2022) a montré que dix minutes de marche "consciente" suffisent à diminuer significativement la rumination mentale.
- Désacraliser la "to-do" : Remplacer la liste longue comme le bras par trois tâches prioritaires dans la journée (méthode “Rule of Three”, popularisée par J.D. Meier chez Microsoft), pour se réconcilier avec ses propres limites.
- Débrancher (vraiment) : Couper les notifications, laisser le téléphone loin de la table à dîner ou du chevet : le Harvard Business Review (2020) explique que chaque interruption numérique multiplie par deux le temps nécessaire pour retrouver sa concentration initiale.
- Cuisiner sans montre : Prendre le temps de préparer soigneusement un plat, sans timer, sans objectif d’efficacité. Cette forme de méditation active soulage, selon une enquête du Journal of Positive Psychology (2022), l'anxiété chez 68% des personnes interrogées.
Ralentir, ce n’est pas arrêter : la nuance qui libère
- Lila
La lenteur pâtit d’une réputation tenace, celle d’être synonyme d’inefficacité. En réalité, ralentir ne veut pas dire s’immobiliser. Être plus lent·e, c’est (re)trouver un rythme juste. Celui qui permet d’être moins dans la réaction, plus dans la présence. On connaît désormais le concept japonais du Yutori : un état d’esprit qui consiste à laisser de l’espace, du temps, pour éviter la saturation, mais sans tomber dans l’oisiveté.
L’institut Gallup observe qu’adopter ce type de rythme (moins de 4 heures d’activités intenses par jour, des pauses complètes) augmente la satisfaction au travail et la productivité de 21%. Les employeurs suédois ayant testé la journée de 6 heures relèvent un taux de stress en forte baisse et moins d'arrêts maladie (BBC, 2015).
Quand la lenteur devient la première des médecines douces
- Lila
Vagues de méditation, yoga, sophrologie… Si ces pratiques rencontrent un tel écho, c’est sans doute parce qu’elles réveillent notre besoin d’un rapport plus doux au temps. Mais il n’est pas nécessaire de méditer une heure par jour pour bénéficier des vertus de la lenteur. Voici, parmi d’autres, les bienfaits aujourd’hui scientifiquement reconnus :
- Baisse de l’irritabilité et des pensées ruminantes : Prendre l’habitude de ralentir quelques minutes par heure, par exemple en observant la lumière ou en écoutant de la musique, favorise un état émotionnel plus stable (Institut Français d’Anxiété, 2021).
- Renforcement de l’attention : Le mind wandering — le vagabondage cérébral — s’avère utile si on l’encadre. Prendre de vrais temps "off" diminue la dispersion mentale, essentielle pour lutter contre la "fatigue d’attention" très fréquente aujourd'hui (American Psychological Association, 2020).
- Meilleur sommeil : Plusieurs études du Sleep Research Society indiquent que ralentir les deux heures précédant le coucher diminue l’insomnie de 23%, probablement en régulant le rythme circadien perturbé par nos vies trop accélérées.
Lenteur et vie sociale : ralentir pour mieux se relier
- Lila
Et si la lenteur était aussi la clef de rapports humains plus riches ? Une étude menée par l’Université de Zurich (2023) démontre un fait marquant : moins on est pressé, plus on rend service ou on écoute les autres avec authenticité. Toutes générations confondues, prendre son temps pour des échanges profonds favorise l’estime de soi et tisse des liens solides.
Ce n’est pas un hasard si le mouvement international “Slow Food”, fondé en Italie en 1986, prône la redécouverte du repas partagé, long et sans écran, comme recette du bonheur collectif et de la santé mentale retrouvée (source : Slow Food International).
Pistes pour apprivoiser la lenteur (et l’installer durablement chez soi)
- Lila
Ralentir n’est pas une fin en soi, plutôt un chemin, intime, à inventer jour après jour, par petites touches. Voici quelques invitations à tester, modifier, assembler :
- Créer des rituels réguliers : Commencer la journée par cinq minutes de respiration simple ou de lecture en silence. Planifier un “slow samedi” chaque mois où aucune course, nulle visite en urgence, juste un moment pour laisser le temps s’étirer.
- Alléger son univers digital : Désabonnez-vous de ce qui encombre plus qu’il n’inspire : newsletters, réseaux, applications. La sobriété numérique n’est pas une contrainte, c’est une invitation à se recentrer.
- Aménager un coin slow à la maison : Un fauteuil sous une fenêtre, un coussin par terre, trois livres qui attendent leurs lecteurs, quelques plantes : un havre où déconnecter même dix minutes.
- Redécouvrir la correspondance papier : Prendre le temps d’écrire une lettre ou une carte. Selon la Royal Mail (Royaume-Uni), 82% des personnes affirment que recevoir une lettre renforce le sentiment de connexion et apaise les pensées négatives (British Postal Museum).
- Se fixer un "nombre d’escapades" par an : Rien de plus stimulant pour la santé mentale que l’attente d’une sortie hors routine : balade en forêt, flânerie dans un musée, pique-nique improvisé.
Redonner du poids, de la couleur, de la saveur à nos journées
- Lila
La lenteur n’est pas une nostalgie, ni une mode. Elle n’enlève rien : elle ajoute. Dans un monde où accélérer est parfois la seule devise, ralentir est peut-être le plus grand des courages. C’est écouter son rythme, ouvrir des espaces de présence, se donner de la latitude pour ressentir, digérer, rêver. En laissant la lenteur s’inviter, on se donne la chance de réapprivoiser une santé mentale pleine de nuances — plus apaisée, plus stable, plus vivante.
Peut-être la lenteur, au fond, n’a-t-elle rien de mystérieux. Elle est simplement une invitation à réévaluer le précieux de chaque moment, à remettre en valeur ce qui se tisse, s’éprouve, s’écoute dès qu’on ose lever le pied. Nul besoin d’abandonner ses ambitions ou de refuser le monde. Il suffit, parfois, d’offrir à son esprit cet écrin de lenteur, de délicatesse et de douceur dont il a peut-être toujours eu besoin.